Le chat dort sur le béton brûlant de la terrasse. Il me nargue avec sa quiétude, sa bonhomie tranquille. Il ne sait pas à quel point je le hais d’être chat et je me hais d’être moi.
Il y a dans le ciel des lames de chagrin désespérées, des stries lumineuses se brisant dans le noir et qui régénèrent mon sang d’amertume.
Le chat se ramène à présent sur le lit, commence sa danse lascive de chat des Orients. Il fixe quelque chose au plafond. Trop tard, disparu. Peut-être fixait-il intensément son portrait : ses yeux sont avides de lui-même.
Ses pupilles s’accordent dans le vide : elles scintillent sous l’espace réservé au rêve.
Bientôt la vie reprendra son cours et je serai à court d’argument. Je ne saurai plus le retenir près de moi, je n’aurai plus les moyens de le contenter. Il vivra au gré des vents et des marées. Moi aussi, je vivrai parmi les poissons volants. J’aurai ma plume pour unique bouée, je flotterai sous le ciel orangé des lendemains d’orage qui font renaître les sols.
Bientôt la vie sera douce comme la caresse du sable.
Plus de peur.
Plus de pleur.
Plus de lancinant moment de doute.
Plus de désespoir.
Seulement la beauté éphémère des matinées chargées de sel sur les côtes de craie.
Pour l’instant, le vent murmure entre les feuilles des platanes qui gentiment s’agitent à ma fenêtre. Je reconnais les timides expressions des arbres de la ville. Ils sont là. Plantés à même le béton, ils sentent l’asphalte et absorbent la rage souterraine des citadins. Ils embellissent mon quotidien de leurs mouvements graciles et leurs branches généreuses.
Le chat se blottit contre mon ventre, près pour le grand départ. Il sait ce que je sais : il partira. Il a autrefois savouré le rythme sensuel de la vie sauvage. Il sait ce qui l’attend.
Il a beau fixer mon front, je sais qu’il voit au-delà de la peau et des os. Il voit en grand ce que je pressens en tout petit.
L’envolée. La libération.
La fougue audacieuse qui traverse mon corps des pieds au bassin, du bassin à la poitrine, de la poitrine au cerveau. Se déverse tel un torrent dans mes veines, mes muscles et se déverse également dans les veines et les muscles du chat, impatient.
J’ose espérer que le monde s’endormira ce soir sous la voûte de la Mère universelle.
En rêvant ma vie de bohème, je calcule la distance me séparant de cette terre d’iode. Les couleurs n’y sont pas simulées, la Nature reprend ses droits exactement là où mon humanité se désagrège.
J’ai le bruit assourdissant des moteurs dans la gueule, alors que mon corps en surchauffe ne rêve que de silence ininterrompu. Et de la musique expérimentale à laquelle tu t’exerces, tous les jours, comme pour te racheter une part d’éternité.
Alors le chat bondit et me lacère le visage, plus fou que le monde entier. Il sent ma tension. Il est le miroir de mon inconfort.
Miaule au pied du lit.
Attend sa pitance.
Vénère sa gamelle.
Je me love au creux des draps et l’écoute réclamer son dû. Il ne reviendra jamais. Me laissera seule dans le jardin ébouriffé.
J’aurai beau parsemer le chemin de mes larmes brûlantes, il préfèrera toujours la solitude primale à mon attachement écrasant.