Trois enseignements à cultiver au-delà du tapis

Le yoga ne se vit pas uniquement durant ces moments où nous faisons l’effort de dérouler notre tapis sur le sol pour pratiquer les  postures et les exercices respiratoires.

Le yoga est un art de vie, une philosophie à part entière. Ainsi, la séance sur le tapis n’est que le commencement de notre véritable Recherche.

Au départ, il est vrai nous éprouvons le besoin d’expérimenter les sensations du yoga pendant ces temps soigneusement intégrés à nos agendas chargés. Mais une fois les trois Öm chantés, nos yeux ouverts et notre tapis rangé, notre cerveau plonge de nouveau dans le grand bain d’un quotidien effréné. Nous abandonnons le yoga. Cette paix intérieure, savamment cultivée pendant les 45 ou 60 minutes que nous nous sommes octroyées, s’envole comme un nuage de fumée.

Mais petit à petit, le yoga prend davantage de place. Progressivement, ces impressions passagères qui disparaissaient aussi vite qu’elles avaient germé finissent par s’installer, se loger durablement en nous. Ces impressions deviennent un état. Nous continuons de les vivre, de les sentir en nous et tout autour de nous. De la pratique du yoga, nous basculons dans l’état du yoga.

Certains professeurs ont l’habitude de dire à leurs élèves : « le yoga commence une fois que vous avez rangé votre tapis ». Voici donc trois principes essentiels à entretenir et garder auprès de vous après avoir rangé le vôtre.

L’Équanimité

A l’instar du bouddhisme, le yoga prône l’art du détachement.

L’équanimité peut être définie comme l’égalité d’âme ou d’humeur. Il est aussi possible de parler de sérénité, de tranquillité ou de calme intérieur. Tous ces termes sont synonymes. L’idée est de disposer d’un état d’âme sans trouble ni agitation.

Pour Sri Aurobindo, grand maître indien du yoga intégral, l’équanimité est une part essentielle du yoga. Elle est ce qui permet d’avancer sereinement sur le chemin de la pratique, sans éprouver de découragement ou s’obstiner inutilement.

« Si vous échouez dans la Sādhana [la discipline du yoga], vous devez garder une âme égale, sans vous inquiéter ni vous décourager.

Dans cet état d’égalité d’humeur, on est en mesure de « découvrir la raison et le sens de l’insuccès et avancer plein de foi vers la victoire ».

L’idée n’est pas de rester passif face aux difficultés mais d’accepter qu’elles existent. L’acceptation est essentielle : il faut accepter pour trouver, dans la paix et le détachement, les moyens les plus efficaces de surmonter les obstacles. En règle générale, les choix que nous prenons sous le coup de l’émotion ne sont pas les meilleurs.

Si cette disposition est nécessaire pour évoluer dans la pratique, elle l’est également dans la vie de tous les jours. L’équanimité invite à accuser les événements avec calme et détachement.

« Quelques déplaisantes que soient les circonstances, quelque désagréable que soit la conduite d’autrui, vous devez apprendre à tout recevoir avec un calme parfait et sans réaction troublante.

Il est facile d’être calme et serein quand tout va bien et que les gens et les circonstances sont agréables ; c’est quand ils sont tout l’opposé que la plénitude du calme, de la paix et de l’égalité est éprouvée, fortifiée, perfectionnée ».

A l’instar du bouddhisme, le yoga prône l’art du détachement. Il est certain que nous ne pouvons pas nous empêcher de ressentir : l’être humain est doté d’une immense et profonde sensibilité. Le yoga nous apprend simplement à composer avec nos émotions. Avoir conscience qu’à tel moment, je suis dans la colère, j’éprouve de la tristesse, je ressens de la joie, mais sans m’identifier à cette colère, cette tristesse ou cette joie.

Pour cela, l’équanimité peut être d’une grande aide : elle nous fait prendre conscience de l’inconstance des situations. Aujourd’hui, c’est la colère, demain ce sera la joie. Notre condition est, comme le reste de la vie terrestre, un sujet en perpétuel mouvement. Si aujourd’hui est un jour avec, profitons-en et sourions. Si demain est un jour sans, faisons avec. L’équanimité peut nous sauver de situations désagréables et nous permettre de développer une véritable tolérance à l’égard de ce qui ne nous convient pas ou ne correspond pas à nos attentes. Je parle de situations mais aussi de personnes : si quelqu’un nous déplaît, nous pouvons, au lieu d’être dans le jugement, apprendre plutôt à être dans la désaffection. Laissons simplement vivre cette personne que nous n’apprécions pas pour x ou y raison. Après tout, tant qu’elle ne nous fait pas de mal, où est le problème ? En définitive, c’est nous-même que nous épargnons : en pratiquant l’équanimité et le détachement, nous économisons toute cette énergie qu’auparavant nous aurions utilisée à critiquer ou à juger.

La Volonté

Quel maître de yoga n’insiste pas sur le rôle déterminant de la volonté ? La volonté, c’est l’instinct de vie, la pulsion de vie aurait dit Freud. La volonté, c’est ce qui fait que nous nous dépassons tous les jours, relevons les défis, maintenons éveillée la force vitale qui nous habite. Sans volonté, rien ne se fait.

En yoga, la volonté permet de développer quelque chose d’essentiel : le travail. Si nous n’avons pas de volonté, nous restons dans l’oisiveté et nous stagnons. Le travail est la voie de la progression et du succès. L’être humain a viscéralement besoin de se dépasser, d’éprouver ses limites. Chaque minute passée sur le tapis à prendre une posture, négocier avec un membre récalcitrant, respirer consciemment ou apprivoiser la douleur est le résultat d’une intense volonté qui s’exprime par le travail.

Dans les Yoga-Sūtra, Patanjali évoque un concept qui correspond à cette définition du travail impulsé par la volonté : l’« abhyasa » (YS, I.12). En sanskrit, abhyasa signifie la pratique, le travail sur soi-même, celui qui demande avant tout effort et volonté. Abhyasa, c’est la pratique répétée. Être dans l’action, être celle ou celui qui agit, avec pour seule volonté celle de dépasser ses limites, mais sans attente d’un résultat précis. Si nous sommes dans l’expectative d’un résultat, nous ne parviendrons jamais à l’état d’équanimité.

De fait, la volonté n’est pas à comprendre comme le support ou la manifestation del’ égo mais comme la traduction de l’élan de vie qui nous anime.

Tout au long de notre vie, nous avons besoin de volonté. Quand nous rencontrons des problèmes professionnels, quand notre relation amoureuse bat de l’aile, quand nous nous disputons avec nos enfants ou nos parents,… La volonté est alors synonyme de persévérance et de détermination. Sans elle, nous sombrons dans la facilité et laissons les situations conflictuelles et douloureuses s’installer durablement.


La Conscience

Le yoga, c’est cet effort d’attention qui place le pratiquant en témoin silencieux de son corps et son mental.

Françoise Mazet

Agir en conscience, c’est agir en accordant une pleine attention à nos actes.

La plupart du temps, nous vivons sans conscience, nous faisons les choses mécaniquement. De la salle de bain nous allons à la chambre, de la chambre nous allons à la cuisine boire notre café, dix minutes plus tard nous sommes dans notre voiture et nous partons au travail. Si vous demandez aux gens de dresser la liste des gestes et actions qu’ils effectuent le matin, il est peu probable qu’ils s’en souviennent. La plupart du temps, notre vie est circonscrite dans un espace et un environnement composés d’un ensemble d’automatismes. La force de l’habitude nous empêche de voir ce qui est vraiment.

Grâce au yoga, nous apprenons à faire les choses en conscience : dans l’apprentissage d’une posture, chaque mouvement est décomposé. Inspirer en levant les bras, expirer en les ramenant vers le sol. Chaque geste requiert une attention totale. Le yoga, c’est cet effort d’attention qui place le pratiquant en témoin silencieux de son corps et son mental. Petit à petit, cet effort d’attention devient « état d’attention », pour reprendre l’expression de Françoise Mazet. Nous cultivons une pleine disponibilité.

La « vraie pratique » peut alors commencer : elle est celle que nous expérimentons quand nous ressentons le besoin d’être dans une vigilance totale. C’est en quelque sorte une manière de revenir à soi, dans ce monde où nous sommes constamment happés par l’extérieur et interconnectés. Revenir à soi, c’est apprendre à réécouter son intuition, redécouvrir son monde intérieur, trouver un espace pour aller à la rencontre de soi-même.

Cette pleine conscience, nous l’expérimentons quand nous pratiquons par exemple la marche à pied et la randonnée : nous marchons sans but avec pour seul contentement le fait de pouvoir s’oublier dans la contemplation du paysage. Quand nous randonnons, ne sommes-nous pas entièrement disponibles, attentifs à tout ce qui nous entoure ? Et l’on pourrait multiplier les exemples à l’infini car, dans l’absolu, tout peut être réalisé en conscience. Thich Nhat Hanh a consacré des textes entiers à la façon dont l’on peut manger une orange en pleine conscience, en étant simplement présent, réceptif à ce que l’on fait.

« Toute technique même pratiquée plusieurs heures par jour, ce que peu d’individus ont la possibilité de faire, n’est pas suffisante.

C’est chaque minute du vécu dans le quotidien qui doit être utilisée ».

Roger Clerc

Sources :

  • Sri Aurobindo, Le Guide du Yoga, éd. Albin Michel

  • Patanjali, Yoga-Sūtra, trad. et comm. Françoise Mazet, éd. Albin Michel

  • Bénédicte Opsomer et Pascal Jover, Yoga pour randonneur, éd. La Plage

Précédent
Précédent

Le corps et le yoga : négation ou adoration ?

Suivant
Suivant

The relationship between modern yoga and premodern hatha yoga