D’où vient le yoga ? Rétrospective sur un art millénaire

Le yoga est né en Inde il y a plusieurs millénaires. Sa finalité était la transcendance de la condition humaine. Ses adeptes aspiraient à la libération de la souffrance afin d’atteindre l’éveil.

Durant des siècles, les yogis ont puisé dans les principes complexes de la philosophie indienne afin de renouveler et redéfinir le yoga. Bien que ses racines soient en Inde, le yoga est désormais considéré comme une pratique universelle. D’une richesse infinie, il se définit par sa diversité protéiforme, se déclinant en d’innombrables écoles qui ont su s’adapter aux évolutions et besoins de la société. C’est pourquoi le yoga ne désigne pas une école bien définie mais de multiples voies et formes de pratiques qui, chacune à leur façon, aspirent à l’harmonie du corps physique, à l’équilibre de l’esprit et au développement de la vie spirituelle.

  • L’Inde, berceau du yoga

A ce jour, le plus ancien témoignage de l’existence du yoga en notre possession remonte à la mystérieuse civilisation de la vallée de l'Indus. Au début du XXe siècle, le chercheur John Marshall découvre, lors d’une fouille sur le site archéologique de Mohenjo-Daro, des sceaux d’argile datant du IIIe millénaire avant notre ère. La cité de Mohenjo-Daro, nom qui signifie littéralement « colline des morts », est l’un des sites urbains les mieux conservés de l’Age de bronze indien. Mohenjo-Daro était situé dans la vallée de l’Indus. Comme son nom l’indique, cette civilisation s’étendait autour du fleuve de l’Indus et s’était construite sur ses rives. Aujourd’hui, cette région correspond au nord de l’Inde et à la plaine du Pakistan. La civilisation indusienne ou harappéenne - du nom de l’autre grande cité Harappa - est considérée comme l’une des plus anciennes civilisations humaines.

Les sceaux d’argile retrouvés sur ce site étaient généralement utilisés à des fins administratives. L’un des plus célèbres fut baptisé le « Proto-Śiva » ou « Pashupati » : on y voit une figure anthropomorphe, assise sur ce qui pourrait être un trône dans une posture jambes croisées, portant une coiffe à cornes et entourée d’animaux.

Le "Proto-Śiva"

Selon les historiens, cette figure énigmatique pourrait être une évocation du dieu Shiva. « Pashupati » signifie « le Maître du troupeau » ; il s’agit de l’une des plus anciennes représentations de Shiva que l’on a pu retrouver sur d’autres sites, notamment en Scandinavie et au Moyen-Orient. De fait, rien ne permet d’affirmer avec certitude que ce sceau était destiné à représenter des adeptes du yoga bien que la pose du tailleur fasse penser à un « yogi ».

Vers 1900 avant notre ère, la civilisation de la vallée de l'Indus a décliné pour des raisons encore débattues par la communauté scientifique. Certains attribuent ce déclin à un changement climatique qui aurait produit des pénuries d'eau ou à l’arrivée des peuples indo-aryens des steppes d'Asie centrale vers l'Asie du Sud. Sur le plan philosophique et religieux, la chute de la civilisation harappéenne s’est accompagnée de l’émergence progressive de la religion védique. Cette religion doit son nom à ses textes fondateurs : les Veda. « Veda » est un terme sanskrit qui signifie « connaissance » ou « savoir ». Il fait référence à un ensemble de pratiques rituelles, religieuses et culturelles qui auraient été transmises par des sages, les Rishis, et qui ont finalement été mises par écrit. La culture védique résulte probablement d’une symbiose des éléments restants de la civilisation harappéenne avec la nouvelle culture d'Asie centrale. Ces textes marquent un tournant dans l’histoire du yoga.

Il existe quatre Veda et parmi eux, le Rig-Veda est certainement le plus ancien et le plus important. C’est dans ce texte que l’on trouve la première utilisation et définition du mot « yoga ».

On remarque que « yoga » a la même étymologie que le français « joug » et l’anglais « yoke » : leur racine sanskrite est « yuj »; elle signifie « relier », « lier », « atteler sous le joug ». Or, dans le Rig-Veda, le terme « yoga » fait référence à un char de guerre comprenant un véhicule à roues, l’attelage des chevaux qui le tire et le joug qui accouple ces derniers. Il n’est donc nullement question de méditation ou de posture dans cette définition.

Entre 800 et 500 avant notre ère fut rédigé un autre ensemble de textes fondamentaux dans l’histoire du yoga : les Upanishads. Ce terme signifie littéralement « s’asseoir auprès de », qu’il faut comprendre dans le sens de « s’asseoir auprès du maître pour recueillir son enseignement ».

Aussi connus sous le nom de Vedānta, « la fin des Vedas », les Upanishads introduisent des idées originales et innovantes par rapport aux autres textes védiques. Ils reflètent ainsi l’éloignement de la société par rapport aux pratiques anciennes. C’est dans ces textes que l'on trouve les premières descriptions détaillées et les premiers proto-systèmes du yoga.

Enfin, il convient d’ajouter à ces différentes sources la très célèbre Bhagavad-Gita : le « Chant du Bienheureux » ou « Chant du Seigneur ». Il s'agit d’un livre de piété extrêmement répandu en Inde. Il n’a cessé d’imprégner la pensée indienne tout au long de l’histoire et est considéré comme une synthèse de toute la doctrine védique.

La Bhagavad-Gita appartient au Mahābhārata, poème épique relatant la guerre entre les deux branches d’une famille royale. A la veille de la guerre, le prince Arjuna est en pleine confusion à l’idée de devoir lutter contre les membres de sa famille élargie. Il dialogue avec son cocher Krishna qui s'avère n'être autre que la divinité suprême Vishnu. Pour lui venir en aide, Krishna l’encourage à choisir la voie du yoga et lui explique que le but du yoga est la délivrance de la souffrance et de la peine. Il lui expose par la suite les vertus des différents types de yoga.

Image : Krishna tells Gita to Arjuna

  • Les principales voies du yoga

  1. Karma Yoga /Jñāna Yoga / Bhakti Yoga

Les trois grandes voies yoguiques développées dans la Bhagavad- Gita sont :

- Karma Yoga (Yoga de l'action)

- Jñāna Yoga (Yoga de la connaissance)

- Bhakti Yoga (Yoga de la dévotion)

Le Karma Yoga, « Yoga de l’action », est la voie du dévouement et du service altruiste. A l’époque védique, le mot « karma » désigne les rituels dont l’accomplissement purifiait l’esprit. Le Karma étant à la base de la philosophie indienne, le but du Karma Yoga est de purifier le mental par l’accomplissement d’actes désintéressés. Agir sans attendre de récolter les fruits de son action, simplement dans un esprit de dévotion, comme lorsque l’on pratique des rituels, telle est la voie du Karma Yoga.

Le Jñāna yoga est une voie exigeante qui demande beaucoup de volonté, de savoir et d’intelligence. «Jñāna » signifie « sagesse », « connaissance ». Par la lecture des textes anciens, Jñāna Yoga permet d’accéder à la vérité et la connaissance juste des choses. L’homme sage est détaché et n’éprouve aucune souffrance car il sait que le monde tel qu’il le perçoit n’existe pas : c’est ce que l’on appelle le non-dualisme.

Le Bhakti Yoga est l’abandon total au Seigneur, sans réserve ni doute. C’est la voie du cœur, de la dévotion. Par la répétition des mantras, le chant, les rituels, la prière ou la prosternation, Bhakti Yoga permet de saisir le divin en toute chose.

Par la suite, deux autres écoles très célèbres furent théorisées : le Raja Yoga ou « Yoga Royal » et le Hatha Yoga, le « Yoga de la force ».

2. Raja Yoga ou « Yoga Royal »

Ce yoga a été systématisé par Patanjali (environ IVe siècle de notre ère) dans un ouvrage classique intitulé Yoga-Sutra. Dans ce livre considéré comme la principale source du yoga moderne, Patanjali décrit le yoga selon une formule très célèbre :

« Le yoga est l’arrêt des fluctuations du mental » (yoga citta vṛtti nirodhaḥ).

Pour atteindre l’état de yoga, Patanjali énumère les moyens correspondants. Ce sont les huit « piliers » ou « membres » du yoga, autrement appelés Ashtanga Yoga :

° Yama, les commandements éthiques dans la relation aux autres

° Niyama, les commandements éthiques dans la relation à soi- même

° Asana, la pratique de la posture

° Pranayama, le contrôle de la respiration, de l’énergie vitale

° Pratyahara, le retrait des sens ou l’écoute intérieure

° Dharana, la concentration

° Dhyana, la méditation

° Samadhi, l’état  d’unité ou de suprême conscience

3. Hatha Yoga ou « Yoga de la force »

Le Hatha Yoga est aujourd’hui l’école de yoga la plus populaire en Occident. Il a été synthétisé pour la première fois au XVe siècle par Swami Svatmarama dans un ouvrage intitulé Hatha Yoga Pradipika.

Le terme « hatha » signifie « force », terme que les indologistes ont pu comprendre dans le sens d’ « effort » ou de « violence ». Le Hatha Yoga a ainsi la réputation d’être un yoga physique. Cette assimilation vient du fait que les techniques privilégiées du Hatha Yoga sont les postures (asana) et le contrôle du souffle (pranayama), pratiques que l’on retrouve dans le traité de Patanjali.

En partant du corps « physique », le Hatha Yoga permet au pratiquant de le contrôler et de maîtriser l’énergie vitale : le Prana. Le Hatha Yoga est donc physique, non seulement dans le sens où il fait appel à des postures corporelles exigeantes, mais surtout parce qu’il part du « plus grossier » - le corps - pour aller vers le plus subtil : l’énergie vitale. Par la purification du corps, le contrôle des sens et l’apaisement du mental, le Hatha Yoga prépare le yogi à la concentration et la méditation, but ultime de la pratique.

Une autre interprétation de “Hatha Yoga”, plus symbolique que la première, a été avancée : en sanskrit, « ha » signifie « soleil » et « tha » signifie « lune ». Le « Ha-tha » Yoga serait la voie de l’union des dualités qui vivent en nous : le principe masculin et le principe féminin.

  • Le développement du yoga en Occident

A l’époque où l’Inde est placée sous domination britannique au milieu du XVIIIe siècle, les yogis sont perçus comme des personnages inquiétants, dotés de pouvoirs redoutables. Aussi, l’explosion du yoga en Occident date véritablement du début des années 1920, période durant laquelle se développe la culture physique.

A cette époque, les yogis adaptent leurs méthodes et redéfinissent le cadre philosophique du yoga, renouvelant ainsi la représentation de cet art ancien afin de répondre aux nouveaux modèles prônés par la culture sportive et le souci du corps. Le yoga s’implantera progressivement aux États-Unis, puis dans le reste du monde, sous l’influence de quelques personnages-clés, pour finalement s’affirmer comme une méthode de perfectionnement physique et de développement personnel.

Parmi ces personnalités influentes, on trouve tout d’abord Swami Vivekananda. Véritable défenseur de l’indépendance de l’Inde, il est l’un des premiers disciples de Ramakrishna. Il se distingue sur la scène internationale lors de sa célèbre intervention au Parlement des religions à Chicago en 1893 : il y déclame un véritable plaidoyer sur la tolérance religieuse. Il a contribué de manière considérable à la diffusion de l’hindouisme et des principes du yoga en Occident.

Sri Yogananda a lui aussi joué un rôle important dans l’expansion du yoga en Occident. Fondateur de la Self-Realization Fellowship et auteur de la magnifique Autobiographie d’un Yogi, il a participé à la promotion du Kriya Yoga en Occident.

Image : Paramhansa Yogananda

En 1918, Sri Yogendra fonde le Yoga Institute, le plus ancien centre de yoga organisé au monde. Il est l’un des premiers à avoir initié des recherches dans le domaine de la thérapie du yoga comme forme de médecine alternative.

  1. La lignée de Krishnamacharya, le « père du yoga moderne »

S’inspirant de la pratique gymnique, de l’athlétisme et de la cure naturelle, le yoga développé par Krishnamacharya est un yoga sportif, axé sur la force physique, l’endurance et la tonicité musculaire. A l’heure actuelle, l’oeuvre de Krishnamacharya et de ses disciples B.K.S. Iyengar, Patthabi Jois, Indra Devi et T.K.V. Desikachar est à l’origine de la véritable notoriété du yoga dans le monde. C’est à eux que l’on doit la lignée de l’Ashtanga Vinyasa Yoga, du Yoga Iyengar et du Viniyoga.

  • Ashtanga Vinyasa Yoga : le yoga de Patthabi Jois

Né dans la ville de Mysore où il est resté la pratique de référence, l’Ashtanga Vinyasa Yoga est vigoureux et dynamique. Proche des exercices d’aérobic, il se base sur la synchronisation de la respiration avec une série de postures progressives et adaptées.

Il existe plusieurs séries, allant d’un niveau débutant à un niveau très avancé, chaque série étant composée d’une cinquantaine de poses effectuées en séquences toujours identiques.

Contrairement au Hatha Yoga, les poses ne sont pas tenues longtemps; elles sont enchainées les unes aux autres au rythme de la respiration du pratiquant. La transition entre les poses se fait autour d’un enchainement de mouvements répétitifs appelé Vinyasa. Accompagnée de techniques de verrouillage énergétique (bandha) et de points de focalisation du regard pour concentrer le mental, cette méthode est axée sur la pratique plutôt que sur la théorie.

Parce que cette méthode est particulièrement intense physiquement, certains se sont éloignés des séries de l’Ashtanga et ont seulement conservé l’aspect dynamique du yoga : c’est ce que l’on appelle aujourd’hui le Vinyasa Yoga. Plus accessible, moins codifié, le Vinyasa Yoga permet de pratiquer un yoga fluide et mouvant.

  • Iyengar Yoga : le yoga de B.K.S. Iyengar ou Yoga thérapeutique

Bellur Krishnamachar Sundararaja Iyengar était un enfant de faible constitution physique, souffreteux et dépressif. Quand il a découvert le yoga auprès de Krishnamacharya, il a pu en expérimenter les multiples bienfaits sur la santé et l’équilibre psychique.

Sa vision du yoga est très précise : à visée thérapeutique, il a élaboré une méthode très pointue, au plus proche de l’anatomie humaine. Son yoga est avant tout postural : les asana sont tenus pendant plusieurs minutes, parfois une demi-heure, et servent à soulager certains maux ou guérir des maladies. Pour parvenir à un alignement correct et le garder, Iyengar préconise l’utilisation d’accessoires : blocs de bois, ceintures, chaises, coussins, cordes, etc. Grâce à cette méthode précise et rigoureuse, tous les corps sont à même de pratiquer et de bénéficier des bienfaits des postures.

L’apprentissage des techniques de respiration (pranayama) vient dans un second temps.

Photo d'une personne pratiquant le Yoga Iyengar avec des accessoires

  • Le Viniyoga de T.K.V. Desikachar: A chacun.e son yoga

Cette forme de yoga avait été développée initialement par Krishnamacharya ; son fils Desikachar a repris cette méthode pour la diffuser dans le monde entier. Selon sa célèbre formule : « Ce n’est pas la personne qui doit s’adapter au yoga mais le yoga qui doit s’ajuster à chaque personne ».

La pédagogie du Viniyoga est individualisée : chaque élève pratique les postures et les autres techniques du yoga en fonction de son état physique, mental et émotionnel. Les séances sont sécurisées afin de permettre une autonomie progressive du pratiquant. La pratique personnelle est donc essentielle dans cette méthode.

  • Quelques autres écoles contemporaines

  1. Sivananda Yoga, le yoga holistique

Conçu par Swami Vishnudevananda disciple de Swami Sivananda, le Sivananda Yoga est un yoga particulièrement adapté aux occidentaux. Développé à partir des années 50, il inclut à la fois la pratique des postures, les exercices respiratoires, l’alimentation, la pensée positive et la méditation.

Sivananda était un grand érudit ; il tenait à revenir aux sources du yoga en enseignant les trois voies canoniques : Karma Yoga, Jñāna Yoga et Bhakti Yoga.

Le réseau des adeptes du Sivananda Yoga est actuellement l’un des plus importants : il représente aujourd’hui plus de 70 centres et ashrams dans le monde.

2. Kundalini Yoga, le yoga de l’éveil de l’énergie vitale

Image : Colour painting of a cross legged meditor showing cakras and kundalini

Créé par Yogi Bhajan dans les années 70, ce yoga a pour but l’éveil de la Kundalini. La Kundalini est un symbole qui nous vient principalement des textes tantriques. Il s’agit de l’énergie vitale qui sommeille en chacun.e de nous et qui, une fois éveillée, nous permet de développer toutes nos capacités latentes.

La Kundalini est décrite comme un serpent lové au bas de la colonne vertébrale.

Différentes techniques sont sollicitées afin de l’éveiller : postures, exercices respiratoires très puissantes, mantras, méditation. Certaines techniques tantriques sont également utilisées. A terme, cette forme de yoga mène à un développement spitiruel.

3. Yin Yoga, le yoga doux

S’inspirant de la philosophie taoïste, Paul Grilley et Sarah Powers ont élaboré un système de pratiques posturales qu’ils ont baptisé Yin Yoga. Il s’agit d’un yoga particulièrement doux se revendiquant du   principe yin : le principe féminin, de la réceptivité et de l’intériorité.

Ce yoga n’a donc nullement pour ambition de renforcer les capacités physiques du pratiquant. Il s’agit d’un yoga introspectif et de détente profonde. Le pratiquant s’installe longtemps dans les postures, ce qui implique l’utilisation de matériel (blocs, coussins,…) et respire de manière consciente.

L’installation prolongée dans les postures conduit à un étirement lent et en douceur des zones profondes du corps et des tissus conjonctifs.

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Il existe de nombreuses autres écoles de yoga à travers le monde. Cette diversité est le témoignage d’une pratique vivante, en perpétuel mouvement, qui a su répondre et s’adapter aux besoins des individus.

Loin d’être uniforme, le yoga épouse les époques qu’il traverse, son ultime beauté étant d’avoir su rassembler, par-delà les frontières et les sensibilités religieuses, culturelles et philosophiques, des millions de personnes dont la vie est aujourd’hui entièrement dédiée à son rayonnement et sa transmission.

Sources

  • Debra Diamond (dir.), Yoga. L’art de la transformation, La Plage, Paris, 2017

  • Christina Brown, La Bible du yoga, 3e éd., Trédaniel, Paris, 2010

  • Patanjali, Yoga-Sutra, Albin Michel, Paris, 1991

  • Swami Saradananda, Postures et techniques du yoga, Larousse, Paris, 2017

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